"Changer de vie après 45 ans pour être plus épanouie"
Réussite professionnelle et dévouement familial, tout laissait penser qu’Estelle menait une vie exemplaire. Pourtant, cette vie n’était parfaite que sur le papier car au fond de son cœur, Estelle a réalisé, l’année de ses 45 ans, qu’elle avait endossé un rôle qui ne lui convenait pas. Elle nous raconte comment elle a renversé la situation pour reprendre les rênes de sa vie et se sentir épanouie, à sa place et légitime.
Quand la routine bien huilée s’enraye
Jusqu’à ses 45 ans, Estelle était, selon ses propres mots, un bon petit soldat. Celle qui a été première de la classe toute sa scolarité s’était transformée, naturellement, en responsable des ressources humaines exemplaire qui remplissait toujours ses objectifs, comblait les attentes de ses managers et accumulait, sans broncher, les heures supp’. Côté perso, elle était mariée, depuis presque 20 ans, et maman de trois enfants pour lesquels elle était complètement dévouée et même un peu corvéable. Globalement, elle avait l’impression que sa vie allait bien même si elle ne prenait pas beaucoup de temps pour elle et qu’elle sentait qu’un petit quelque chose clochait. Cela aurait pu continuer longtemps mais la lassitude a gagné Estelle, au début sans qu’elle ne comprenne bien ce qui était en train de se jouer. Des petites contrariétés professionnelles sont devenues plus pesantes et des insomnies sont apparues, la tenant éveillée, en plein milieu de la nuit, en prise avec des questions en pagaille dont la plus importante : qu’est-ce que c’est que cette vie ? Estelle a commencé à se demander si elle était à sa place au travail et à réaliser, rapidement, qu’elle souffrait de mal-être, essentiellement car on la confrontait, de plus en plus, à des objectifs financiers au dépens de l’épanouissement humain. La fatigue, la baisse de motivation, et l’agacement ont gagné, petit à petit, Estelle. D’un côté, elle avait de moins en moins envie d’aller au travail et d’un autre, le sentiment d’étouffer dans une vie un peu trop rangée et dans laquelle son existence était surtout tournée vers la satisfaction des autres. Un soir, après une journée particulièrement déplaisante, Estelle a eu un déclic. « Je suis rentrée chez moi, je bouillonnais et j’étais triste en même temps ! Alors que j’aurais eu besoin de réconfort, mes enfants m’ont salué, de loin, sans venir m’embrasser. Je ne leur en ai pas voulu mais j’ai compris qu’ils grandissaient à vitesse folle et qu’ils commençaient à se détacher de nous. J’ai eu envie de partager un truc dingue en famille et de prendre du recul en même temps. C’était très clair dans ma tête et quand mon mari est arrivé, je lui ai proposé un tour du monde ! »
Une évasion enrichissante, un shoot de bonheur
Après avoir compris qu’il ne s’agissait ni d’une plaisanterie ni d’une lubie, Olivier et les enfants se sont laissés facilement convaincre et cinq mois après, ils étaient tous les cinq dans l’avion, prêts pour l’aventure. Estelle se souvient des semaines qui ont précédé le départ : « On était complètement focus sur le tour du monde, je m’agaçais beaucoup moins, tout tournait autour du voyage. Moi qui aime mes habitudes et mon confort, je me projetais loin de tout ça sans ressentir d’inquiétude.» S’en est suivi un tour du monde de huit mois avec douze pays traversés entre l’Asie et l’Amérique du Sud, en passant par l’Australie. « Une expérience fabuleuse, on a vécu le moment présent, on ne parlait presque jamais de notre vie en France. On a regardé comment d’autres vivent, réalisé à quel point le monde est beau, on a tellement appris ! Quelle claque ! Les enfants ont énormément mûri mais nous aussi. » Durant le voyage, Estelle s’est sentie sereine, souvent joyeuse et fière d’elle. « Je respirais mieux, on s’attachait à l’essentiel. J’étais heureuse d’avoir été à l’initiative de cette expérience indélébile pour chacun de nous. Moi qui n’étais jamais sortie du rang jusqu’à 45 ans, je n’aurais pas imaginé embarquer ma famille dans ce projet génial et un peu fou. » Évidemment, les contraintes financières et scolaires ont mis un terme au voyage qu’ils auraient pourtant bien poursuivi. « On savait depuis le début qu’on devrait rentrer, qu’il ne s’agissait que d’une parenthèse. Bien sûr, il y avait la joie de revoir nos familles et amis mais la perspective du retour m’a angoissé dans les dernières semaines. C’était comme si j’avais mis un voile sur tout ce qui n’allait pas en partant et je savais que j’allais devoir faire face en rentrant. » Ce n’est rien de dire que le retour a été difficile. Estelle n’avait aucune envie de retourner au bureau mais son corps lui a, en quelque sorte, « facilité » la tâche. À peine deux semaines après la reprise, elle a attrapé une pneumopathie aigue dont elle a mis presque trois mois à se remettre. « Mon corps m’a lâché, ça m’a fait comprendre beaucoup de choses. Ma tête s’obstinait mais mon corps disait stop. Moi qui ne m’étais arrêtée que pour les maternités, j’ai eu un long congé maladie. »
Une réflexion bien mûrie
Ces longues heures, seule à la maison, ont été propices à une intense réflexion, Estelle en a profité pour réaliser un travail d’introspection. « J’ai compris que depuis 45 ans je faisais tout pour rentrer dans un moule, que je me conditionnais pour faire plaisir et pour qu’on soit content de moi. Au fond, tout ça, c’était pour être sûre d’être aimée. Le manque de confiance et d’estime de moi-même me conduisaient, au travail, à faire des choses qui ne correspondaient pas à mes valeurs et à la maison, à m’oublier. Ca a été une vraie révélation de réaliser tout ça mais c’était aussi perturbant.» Un peu déstabilisée, Estelle s’est tournée vers une coach professionnelle pour l’accompagner à opérer les changements devenus nécessaires. « On a beaucoup travaillé sur mes valeurs, c’était clair qu’elles étaient bafouées depuis longtemps au travail. J’avais choisi les ressources humaines car l’humain me passionne, je souhaitais accompagner des personnes, les challenger, les voir évoluer et s’étoffer. Au lieu de ça, on me demandait de les manipuler et de les pressuriser. » Au retour de son arrêt maladie, la décision d’Estelle était prise et avec une assurance toute nouvelle, elle a demandé une rupture conventionnelle à son employeur. Cela ne s’est pas fait facilement mais il a fini par accepter et Estelle s’est sentie libérée. « J’ai poursuivi le travail avec ma coach, je me suis reconnectée à moi-même. J’ai défini mes besoins et mes envies. Mon luxe a été de prendre mon temps et de ne pas subir de pression financière. »
Le temps du changement
En même temps que son nouveau projet professionnel prenait forme dans sa tête, c’est naturellement qu’Estelle a défini ses limites dans sa sphère privée. « J’ai appris à dire non, même à mes enfants. À ne plus accepter de passer un samedi entier à faire le taxi ou à renoncer à une sortie parce qu’un enfant avait besoin d’aide, en dernière minute, pour un devoir. Je suis là pour eux et je reste très disponible mais je leur demande de s’impliquer davantage dans leur organisation. » Estelle, encouragée par son mari, a ainsi pu recommencer à prendre du temps pour elle et s’adonner à ses loisirs favoris : la course à pied, le piano, l’écriture et la lecture ! « J’ai imposé mon cours de piano et ma séance de running dans l’emploi du temps et cela a été très bien perçu par toute la famille. Chacun a ses activités et ça a semblé normal que j’ai aussi les miennes. Parfois, on se met des barrières toute seule… » Après quelques mois, Estelle s’est lancée dans une formation pour devenir coach en visant un public spécifique : les personnes en situation de handicap. Elle intervient, aujourd’hui, dans plusieurs associations et se sent bien plus alignée. « J’ai gagné sur toute la ligne. Mon activité est un peu moins rémunératrice que lorsque j’étais salariée mais j’ai choisi de ne pas travailler à plein temps. Deux à trois demi-journées par semaine, je me libère du temps pour moi et pour la famille. Ca me permet de faire tourner la maison sans stress et de me ressourcer. » Au-delà du rythme appréciable, c’est aussi et surtout un sentiment d’avoir raccroché les wagons, de s’être réalignée avec elle-même. « Je ne fais pas des miracles tous les jours mais je sais que mon travail est utile. Quand on accompagne quelqu’un à dépasser ses croyances limitantes, à se recentrer, à reprendre confiance, c’est fabuleux. Il y a des moments douloureux, l’émotion n’est jamais très loin mais quand une personne reprend les rênes de sa vie malgré son handicap, qu’elle le dépasse, qu’elle accepte que sa vie ne sera plus la même mais que cette personne comprend qu’elle a encore toute sa valeur, c’est bouleversant. » Quand on demande à Estelle pourquoi cette prise de conscience ne s’est pas produite plus tôt, elle avance une sorte de trop plein et un manque de temps. « Dans la trentaine, j’étais toujours la tête dans le guidon. L’esprit accaparé, du matin au soir, comme toutes les jeunes mamans, tu avances en mode automatique, au travail comme avec les enfants, sans prendre de recul. J’ai fait de mon mieux sans me poser de question. » En mûrissant, Estelle a été confrontée à des moments douloureux qui lui ont, néanmoins, permis de saisir la fragilité de l’existence. « J’ai perdu un très bon ami, foudroyé en quelques mois par un cancer. J’ai réalisé que mes parents avaient vieilli et que moi-même je n’étais plus aussi jeune. À partir de là, ça m’a interrogé sur ma satisfaction personnelle. Ma vie était loin d’être horrible mais c’était à moi de faire les ajustements nécessaires pour être plus épanouie. À 45 ans, personne n’allait le faire pour moi. Je ne pouvais pas continuer à aller contre ma nature au travail, j’avais encore le temps de renouer avec qui je suis vraiment. Je méritais d’être authentique avec moi-même. En redonnant du sens à ma vie professionnelle, je me suis apaisée, j’ai posé quelques limites pour être moins docile à la maison, je me suis respectée. Aujourd’hui, je suis plus épanouie, je suis à ma place et tout le monde y gagne car je donne le meilleur de moi-même. »
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